Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/132

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Et voici ce que j’inventai : je guettai le moment où la cabaretière descendit dans sa cave ; j’abaissai la trappe sur elle, la fermai à double tour et, après avoir dansé sur la porte horizontale la danse du scalp, je lançai la clef sur le toit ; puis je m’enfuis à toutes jambes à la cuisine, où grand’mère préparait le repas. Elle ne comprit pas immédiatement la cause de mon enthousiasme ; mais quand je lui eus tout expliqué, elle me gratifia de quelques claques vigoureuses et, me traînant vers le lieu de mon forfait, m’envoya sur le toit à la recherche de la clef. Étonné d’un tel dénouement, je lui tendis la clef sans mot dire, et je me sauvai dans un coin d’où je pus la voir remettre en liberté la captive. Les deux femmes traversèrent ensuite la cour en riant ensemble comme de bonnes amies.

— Ah ! Le petit vaurien !

La cabaretière brandit vers moi son poing bouffi ; mais son visage aux jeux noyés souriait. Grand’mère, m’ayant saisi au collet, me fit rentrer à la cuisine où elle m’interrogea :

— Pourquoi as-tu tourné la clef ?

— Elle t’avait lancé une carotte…

— C’est donc à cause de moi que tu l’as enfermée ! Vraiment ? Ah ! petit dogue, je vais te jeter sous le poêle, en compagnie des souris, et tu reviendras à la raison. Le beau défenseur que j’ai là ! Voyez-vous cet enflé ! Je raconterai la chose à grand-père qui te corrigera comme tu le mérites ! Allez, file au grenier ; va apprendre tes leçons !

De toute la journée, elle ne me parla pas ; mais, le soir, avant de se mettre à prier, elle s’assit sur le