Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/161

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joues, comme quelqu’un qui transpirerait très fort. Quand l’un des auditeurs remuait, toussait, traînait le pied, notre pensionnaire sifflait avec sévérité :

— Chut ! Chut !

Lorsque mon aïeule se tut et passa sa manche sur son visage en sueur, Bonne-Affaire bondit impétueusement et, les bras étendus, tourna tout confus autour de grand’mère en murmurant :

— Vous savez, c’est extraordinaire… il faut que vous dictiez à quelqu’un cette légende. C’est effroyablement vrai… c’est bien russe.

On s’aperçut que ses yeux étaient baignés de larmes. Et c’était à la fois bizarre et très pathétique que le spectacle de cet homme courant par la cuisine, avec de petits bonds gauches et risibles et qui, dans son émotion, n’arrivait pas à accrocher derrière ses oreilles les branches de ses lunettes. L’oncle Piotre riait ; les autres gardaient un silence embarrassé, tandis que grand’mère disait précipitamment :

— Mettez cela par écrit, si vous voulez, je n’y vois pas d’inconvénient… Je connais d’ailleurs beaucoup d’histoires du même genre…

— Non, non, c’est celle-là que je veux noter ! Elle est terriblement russe ! s’exclama encore notre pensionnaire.

Mais tout à coup, il s’arrêta au milieu de la cuisine et se mit à parler tout haut en fendant l’air de sa main droite, tandis que, dans la gauche, ses lunettes tremblaient. Il parla longtemps, avec exaltation, poussant de temps en temps une sorte de plainte et tapant du pied ; je remarquai qu’il répéta à plusieurs reprises les mêmes paroles :