Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/21

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terribles et il me sembla étrange qu’un si petit homme pût vociférer d’une manière aussi assourdissante.

Sans se hâter, ma mère se leva de table et, tournant le dos à tout le monde, s’en alla vers la fenêtre.

Tout à coup, du revers de sa main, l’oncle Mikhaïl gifla son frère ; celui-ci poussa un hurlement, s’accrocha à lui et tous deux roulèrent sur le sol, avec des exclamations, des rugissements et des râles.

Les enfants à leur tour se mirent à pleurer ; la tante Nathalie qui était enceinte piaillait désespérément ; ma mère la prit à bras le corps et l’entraîna je ne sais où. Evguénia, la joyeuse nourrice au visage grêlé, chassa les bambins de la cuisine et, tandis que le premier ouvrier Ivan, surnommé Tziganok, jeune gaillard aux larges épaules, s’asseyait à califourchon sur le dos de Mikhaïl, Grigory Ivanovitch, le contremaître chauve et barbu, aux lunettes noires, liait tranquillement les mains de l’oncle au moyen d’une serviette.

Le cou tendu, l’oncle frottait sur le sol sa maigre barbiche noire, exhalant des râles terrifiants, tandis que grand-père affolé courait tout autour de la table, en geignant d’un ton désolé :

— Des frères ! Vous êtes du même sang et vous vous battez ! Misère !…

Dès le début de la querelle, je m’étais enfui plein d’effroi sur le poêle ; de là, je vis avec un étonnement anxieux grand’mère prendre de l’eau au lavabo de cuivre et laver le visage ruisselant de sang de l’oncle Jacob. Ce dernier pleurait, tapant du pied, et elle lui disait d’un ton accablé :