Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/22

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— Maudits ! Race sauvage ! Reviendrez-vous à la raison ?

Ramenant sur l’épaule sa blouse déchirée, grand-père lui cria :

— Eh quoi, sorcière, aurais-tu enfanté des démons ?

Lorsque l’oncle Jacob fut sorti de la pièce, grand’mère se jeta vers le coin où les images saintes étaient suspendues, et à genoux, d’une voix qui me bouleversa, elle supplia :

— Sainte Mère de Dieu, rends la raison à mes enfants !

Grand-père vint prendre place à ses côtés et, regardant la table où tout était renversé, sens dessus dessous, il la prévint à mi-voix :

— Surveille-les, mère, sinon ils tortureront Varioucha et la feront périr, ils en sont capables…

— Tais-toi, tais-toi ! Ne pense pas des choses pareilles ! Enlève ta blouse, je vais te la recoudre…

Serrant la tête du vieillard entre ses deux mains, elle le baisa au front ; et lui, qui, comparé à elle, était tout petit, posa la tête contre la poitrine de sa femme en disant :

— Il faut se résoudre à partager, je crois…

— Oui, père, oui…

Ils conversèrent ainsi longtemps, d’abord amicalement ; puis grand-père se mit à gratter du pied le plancher, comme les coqs avant la bataille.

— Ah ! je sais bien que tu les aimes plus que moi ! murmura-t-il en la menaçant du doigt. Ton Mikhaïl, pourtant, n’est qu’un jésuite et ton Jacob un franc-maçon… Ils vont tout boire… ils vont gaspiller tout mon bien…