Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/215

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devoir de m’inculquer vigoureusement les notions d’écriture et de lecture profanes. Elle acheta des livres et ce fut dans l’un d’eux, la Parole maternelle, que je surmontai en quelques jours les difficultés de l’alphabet. Ma mère me proposa d’apprendre des poésies par cœur ; et ce fut de ce jour-là que datèrent nos réciproques afflictions.

L’une de ces poésies était ainsi conçue :

Route longue, route droite,
Que d’espace Dieu t’a donné !
La hache ni la pelle ne t’ont égalisée,
Tu es douce au sabot et riche de poussière

J’articulais d’une manière défectueuse et ma mère me reprenait, mais je persistais dans mes errements.

Elle s’irritait, me traitant de benêt et de têtu, et ces paroles étaient dures à entendre. J’essayais très consciencieusement de me rappeler les vers maudits ; mentalement je les récitais sans faute, mais dès que je voulais les dire à haute voix, je me trompais. Je me mis à haïr ces insaisissables phrases et, de rage, je les mutilai de propos délibéré, en disposant à la file l’un de l’autre des mots stupides qui avaient à peu près le même son ; j’étais enchanté quand ces vers ensorcelés ne présentaient plus aucun sens.

Mais ce plaisir me coûta cher : un jour, après une leçon qui avait satisfait ma mère, elle me demanda si je pouvais enfin lui réciter les vers ; et sans le vouloir, je me mis à murmurer :

Route, voûte, droite, roide,
Sabot, rabot, radeau.