Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/224

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de ne pas imaginer des représailles dignes de l’injure.

Mais deux ou trois jours plus tard, étant entré je ne sais pourquoi dans la chambre qu’il occupait au grenier, je le vis assis sur le plancher devant un coffre ouvert où il rangeait des documents. J’aperçus sur une chaise le calendrier ecclésiastique qu’il aimait tant : c’étaient douze feuilles d’un papier gris assez épais et divisées en autant de carrés qu’il y avait de jours dans le mois ; dans chaque carré, on avait dessiné la silhouette du saint du jour. Grand-père faisait grand cas de son calendrier et ne m’autorisait à le regarder que dans de très rares occasions où il avait été tout particulièrement satisfait de mon travail ou de ma conduite. J’examinais toujours avec un sentiment singulier ces jolies petites images, grises et serrées les unes contre les autres. Je connaissais la vie de quelques-uns des personnages représentés, celle de Kirike d’Oulita, de Varvara la grande martyre, de Pantéléimone et d’autres encore. J’aimais surtout la mélancolique histoire d’Alexis, le saint homme de Dieu, et les beaux vers qui la racontaient. Grand’mère me les récitait souvent et d’un accent qui me touchait. Je regardais parfois ces martyrs, qui se comptaient par centaines et je me consolais un peu en pensant qu’il y a toujours eu des gens persécutés pour leur foi…

Je tenais ma vengeance. Je résolus de couper ce calendrier en mille morceaux, et lorsque grand’père s’en alla vers la lucarne pour déchiffrer un papier, je m’emparai de quelques feuilles. Ceci fait, je descendis vivement, sortis les ciseaux de la table de grand’mère et grimpai dans la soupente où je me mis