Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/225

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à taillader la tête des saints. Après avoir décapité une rangée de martyrs, je jugeai dommage d’abîmer le calendrier, et je divisai la feuille en suivant la ligne qui séparait les carrés. Je n’avais pas encore détaché la seconde rangée que grand-père, pénétrant dans la cuisine, montait sur le marchepied et demandait :

— Qui est-ce qui t’a permis de prendre le calendrier ?

En apercevant les petits fragments de papier éparpillés sur les planches, il les ramassa et les porta à son visage, puis les jeta et les ramassa de nouveau. Son menton tremblait, sa barbe avait des frémissements et il respirait avec une telle force que les débris des saints s’envolèrent sur le plancher.

— Qu’as-tu fait, misérable ? s’écria-t-il enfin, et il me tira par le pied ; je fis le saut périlleux en l’air : grand’mère, juste à temps, me reçut dans ses bras et le vieux nous donna une volée de coups de poing en glapissant :

— Je vais l’assommer.

Ma mère parut ; je me retrouvai dans le coin près du poêle ; elle se tenait devant moi, barrant le passage à grand-père, dont elle s’efforçait d’emprisonner les mains menaçantes. Elle s’exclama :

— Quelle abomination ! À quoi pensez-vous ?

Grand-père s’effondra sur le banc près de la fenêtre et se mit à geindre :

— Vous m’avez tué ! Tout le monde est contre moi, tout le monde !

— N’avez-vous pas honte ? reprit la voix sourde de ma mère. Vous jouez constamment la comédie !