Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/23

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M’étant maladroitement retourné, je fis dégringoler un fer à repasser qui rebondit avec fracas sur les degrés du poêle et finit par tomber dans un seau. Surpris par ce tapage, le grand-père sauta sur une marche, me tira à bas de ma cachette et, me dévisageant comme s’il me voyait pour la première fois :

— Qui est-ce qui t’a fourré là-haut ? Ta mère ?

— Non, c’est moi qui ai grimpé tout seul.

— Tu mens !

— Non, ce que je dis est la vérité. J’ai peur.

Il me repoussa et sa paume vint me frapper légèrement le front :

— Tout le portrait de ton père ! Va-t’en !

Je fus content de pouvoir m’échapper de la cuisine.



Je sentais bien que les yeux verts perspicaces et intelligents de grand-père me poursuivaient sans cesse et j’avais peur de mon aïeul. Je me rappelle l’instinctive frayeur qui me portait à fuir ses regards brûlants. Il me semblait que grand-père était méchant, qu’il témoignait à tout le monde une ironie outrageante, essayant de mettre les gens en colère et se méfiant de chacun.

— Eh ! vous autres ! s’exclamait-il souvent, et ces mots qu’il proférait en traînant sur les syllabes me produisaient chaque fois la même et pénible impression d’ennui et de froid.

À l’heure du repos, au thé du soir, lorsque les oncles, les ouvriers et lui-même quittaient l’atelier