Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/269

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l’œuvre ; et par bonheur cette besogne me détacha pour longtemps de tout ce qui se passait dans la maison ; quoique les événements fussent encore bien étranges pour moi, à mes yeux ils perdaient de leur intérêt de jour en jour.

— Pourquoi fais-tu la mine ? me demandaient parfois ma mère et ma grand’mère.

Cette question me gênait, car je n’étais fâché contre personne ; seulement, tout m’était devenu étranger dans la demeure. La vieille femme verte venait souvent dîner, goûter et souper ; on aurait dit un pieu pourri dans une haie décrépite ; ses yeux étaient comme cousus sur son visage par des points invisibles : ils sortaient d’ailleurs très facilement de leurs orbites et bougeaient sans cesse, apercevant tout, observant tout, se levant vers le ciel, quand leur propriétaire parlait de Dieu, s’abaissant vers les joues, quand il s’agissait de choses familières. Ses sourcils simulaient assez deux taches de son symétriques, et ses larges dents déchaussées déchiquetaient tout ce qu’elle portait à sa bouche, de sa main drôlement tordue. De petites boules osseuses roulaient près de ses oreilles qui remuaient ; les poils verts de la verrue s’agitaient aussi et, comme des vers, semblaient ramper sur sa peau ridée, d’une netteté sans attrait ; elle était aussi soignée que son fils, mais leur propreté avait à mon avis quelque chose de répulsif. Les premiers jours, elle avait tenté de poser sur mes lèvres sa main de cadavre qui sentait l’encens et le savon jaune de Kasan, mais je tournai la tête et je m’enfuis…

Elle répétait souvent à son fils :