Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/270

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— Il faut absolument éduquer ce garçonnet, comprends-tu, Evguény…

Il penchait la tête avec soumission, fronçait le sourcil et gardait le silence. Tous ceux qui s’approchaient de la femme verte se rembrunissaient.

Je haïssais la vieille et son fils d’une haine concentrée, et ce sentiment me valut beaucoup de gifles et de coups. C’est ainsi qu’un jour, au cours du dîner, comme elle écarquillait affreusement les yeux et me faisait cette observation :

— Dis-moi, mon petit Alexis ; pourquoi manges-tu si vite et de si gros morceaux ? Tu finiras par t’étouffer, mon chéri !

Je sortis le morceau que j’avais dans la bouche et, le plantant au bout de ma fourchette, je le lui tendis :

— Tenez, prenez-le, si vous trouvez que c’est dommage…

Ma mère m’arracha de ma chaise et je fus honteusement chassé au grenier. Je courus grimper sur le toit de la maison, où je restai longtemps assis derrière une cheminée. Oui, j’aimais faire des sottises et me montrer insolent avec tout le monde ; il m’était difficile de surmonter ce penchant, et pourtant, je dus bien y arriver : un jour, ayant subrepticement garni de gomme de cerisier les chaises de mon futur beau-père et de la nouvelle grand’mère, ils restèrent tous deux attachés à leur siège et ce fut très amusant ; mais lorsque grand-père m’eut fouetté, ma mère monta vers moi au grenier, m’attira à elle et, me serrant avec force entre ses genoux, elle me dit :

— Voyons, pourquoi es-tu si méchant ? Si tu savais quel chagrin tu me causes…