Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/43

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Une fois, après dîner, comme l’ouvrier dormait dans la soupente de la cuisine, on lui barbouilla le visage avec de la fuchsine et, pendant longtemps, il eut un air terrifiant et risible : sa barbe grise encadrant les deux cercles ternes des lunettes noires, tandis que son long nez écarlate, pareil à une lampe, pendait tristement.

Les oncles faisaient chaque jour de nouvelles trouvailles et Grigory supportait tout sans mot dire. Il toussotait seulement et, avant de toucher à un fer, aux ciseaux, aux pincettes ou à un dé, il prenait la précaution d’humecter son doigt de salive. Cela devint très vite chez lui une habitude et, à table, avant de prendre son couteau ou sa fourchette, il se mouillait le doigt, au grand amusement des enfants. Quand il souffrait, une vague de rides apparaissait sur son grand visage, elle glissait sur le front, soulevant les sourcils, puis disparaissait mystérieusement, sur le crâne dénudé.

Je ne me rappelle pas ce que grand-père pensait des distractions de ses fils ; je sais seulement que grand’mère faisait le poing à mes oncles et leur criait :

— C’est honteux ! Vous êtes des monstres !

Quand Tziganok était absent, les oncles entre eux le traitaient de paresseux et de voleur, s’emportaient contre lui et prétendaient que le jeune homme travaillait fort mal. Je demandai à grand’mère l’explication de cette énigme.

Elle me la donna, de grand cœur, comme toujours, et en termes compréhensibles :

— Tu ne vois pas, ils aimeraient tous les deux prendre Tziganok à leur service, quand ils auront