Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/57

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— Du bois ! Tu ne vois donc rien ?

Lorsque Tziganok fut sorti en courant, Grigory s’assit sur un sac de bois de santal et il m’appela de la voix et du geste :

— Viens ici !

Il me prit sur ses genoux ; sa barbe tiède et soyeuse se colla à ma joue, et les mots qu’il proféra furent tels que je n’oubliai de ma vie ce qu’il m’apprit à cette heure-là.

— Ton oncle a battu sa femme jusqu’à ce qu’elle en soit morte ; il l’a torturée, et maintenant sa conscience le tourmente à son tour ; comprends-tu ? Il faut que tu comprennes tout, sinon tu es perdu…

Avec Grigory, tout est simple comme avec grand’mère ; pourtant, il m’effraie, et il me semble que, par-dessous ses lunettes, il voit au travers des choses.

— Comment il l’a tuée ? explique-t-il sans se hâter. Eh bien, de la façon suivante : il se couchait avec elle, lui couvrait la tête avec un édredon et lui flanquait des coups tant et plus. Pourquoi ? Il n’en sait rien lui-même, j’en suis sûr.

Sans faire attention à Tziganok qui revient avec une brassée de bois, s’accroupit devant le feu et se chauffe les mains, le contremaître continue d’un ton sentencieux :

— Il la battait peut-être parce qu’elle valait mieux que lui et qu’il en était jaloux. Les Kachirine, mon petit, n’aiment pas ce qui est bien ; ils sont jaloux de tout ce qui leur paraît honnête et sérieux, et comme ils ne peuvent accepter ce qui leur fait honte ou leur déplaît, ils le détruisent. Demande donc à ta