Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/59

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arrivé à examiner ce qui m’entourait avec une attention toujours soutenue.

Mon amitié pour Tziganok grandissait et se fortifiait. Du lever du soleil à la grande nuit, grand’mère était prise par les soucis du ménage et pendant la majeure partie de la journée je tenais compagnie au jeune ouvrier. Il continuait, lorsque grand-père me fouettait, à opposer son bras aux coups de verge qui m’étaient destinés et le lendemain, me montrant ses doigts tuméfiés, il se plaignait de la chose :

— Non, vraiment, tout cela est inutile ! Ça ne te soulage pas ! Et tu vois ce que j’y récolte ! C’est bien la dernière fois, je t’assure !

Et dès que l’occasion se représentait, il s’exposait de nouveau à une souffrance imméritée.

— Je croyais que tu ne voulais plus tendre le bras…

— C’est vrai, et je l’ai tendu quand même… Je ne sais pas ce qui m’a poussé… j’ai fait le geste sans le vouloir.

Bientôt, j’appris sur le compte de Tziganok quelque chose qui piqua ma curiosité et accrut encore mon affection pour lui.

Tous les vendredis, Tziganok attelait au large traîneau un cheval bai nommé « Charap », le favori de grand’mère, gourmand, capricieux et rusé. Le jeune homme endossait une pelisse courte qui lui descendait à peine aux genoux, se coiffait d’une volumineuse casquette, se serrait la taille dans une ceinture verte et dans cet accoutrement se rendait au marché pour acheter des provisions. Parfois, son absence était très longue, et tout le monde s’en alarmait ; on