Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/60

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allait à la fenêtre, on soufflait sur les vitres que le gel avait couvertes de cristaux arborescents et l’on regardait dans la rue :

— Revient-il ?

— Non.

Grand’mère surtout haletait d’inquiétude.

— Ah ! vous me ferez périr l’homme et le cheval, reprochait-elle à son mari et à ses fils. N’avez-vous pas honte ; n’avez-vous point de conscience ? Sommes-nous dans la misère ? Ah ! race nigaude, pieuvres, le Seigneur vous punira !

Grand-père grommelait :

— C’est bon, c’est bon. C’est la dernière fois…

Parfois, Tziganok ne rentrait que vers midi ; les oncles et l’aïeul s’empressaient d’aller au-devant de lui et grand’mère les suivait en prisant avec acharnement. Elle ressemblait à une ourse et, en ces moments-là, je ne sais pourquoi, elle paraissait toujours gauche. Les enfants accouraient et on se mettait gaîment à décharger le traîneau, chargé de cochons de lait, de poissons, de gibier et de pièces de viande de toute espèce.

— As-tu acheté tout ce qu’on t’a dit ? demandait grand-père, et il estimait le chargement, d’un regard de ses yeux perçants.

— Oui, tout ce qui était nécessaire, répliquait Tziganok avec jovialité, et il gambadait dans la cour pour se réchauffer et frappait ses moufles l’un contre l’autre avec un bruit assourdissant.

— Doucement, ils ont coûté de l’argent, tes gants ! criait grand-père avec sévérité. Te reste-t-il quelque chose ?