Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/77

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Je comprenais fort bien cette demande, de même que je comprenais Grigory, lorsqu’il grommelait :

— Quand je serai aveugle, j’irai mendier et je serai plus heureux…

Je souhaitais qu’il perdît la vue au plus vite ; j’aurais demandé la permission de lui servir de guide et ensemble nous aurions parcouru le monde. Je lui en avais déjà parlé, et, souriant dans sa barbe, il m’avait répondu :

— C’est entendu, nous irons mendier tous les deux ! J’annoncerai par toute la ville : « Voilà Alexis Pechkof, le petit-fils de Vassili Kachirine, président de la corporation des teinturiers ; voilà le fils de sa fille ! » Et ce sera très drôle…

À plusieurs reprises, j’avais vu sous les yeux vides de la tante Nathalie de grosses poches bleues, et souvent ses lèvres étaient boursouflées. Je demandai à grand’mère :

— Est-ce que l’oncle lui donne des coups ?

Elle avoua avec un soupir :

— Oui, il la bat en cachette, le grand vaurien. Grand-père lui a interdit de la toucher, mais c’est la nuit qu’il la roue de coups, et elle ne sait pas se défendre !

Et, s’animant peu à peu, elle racontait :

— Tout de même, on est moins féroce que jadis, sous ce rapport-là. Maintenant, on vous flanque un coup de poing sur la bouche, sur l’oreille ; on vous tire les cheveux ; cela ne dure qu’un instant ; mais autrefois, c’était pendant des heures entières qu’on vous maltraitait ! Le grand-père, une fois, le jour de Pâques, m’a battue de la messe jusqu’au soir. Quand