Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/82

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Tout endormi, j’allumais la chandelle et je rampais sur le plancher, à la recherche de l’ennemi ; il me fallait parfois beaucoup de temps et je ne réussissais pas toujours.

— Je n’en trouve point ! disais-je ; grand’mère qui restait immobile, la tête cachée sous la couverture, suppliait d’une voix à peine perceptible :

— Mais si, cherche-la, je t’en prie ! Il y en a une, j’en suis certaine.

Elle ne se trompait jamais et je découvrais un insecte, très loin du lit :

— L’as-tu tuée ? Oui, Dieu merci ! Et merci à toi… Et, rejetant la couverture, elle poussait un soupir de soulagement et souriait.

Si je ne découvrais pas la bête, mon aïeule ne pouvait se rendormir ; je sentais son corps tressaillir au moindre bruit qui s’élevait dans le silence absolu de la nuit, et je l’entendais retenir son souffle et murmurer :

— Elle est près de la porte… elle s’est glissée sous le coffre…

— Pourquoi as-tu peur des blattes ?

Grand’mère répondait gravement :

— Parce que je ne comprends pas à quoi elles peuvent servir. Elles sont noires et elles bougent et voilà tout. Dieu a donné un rôle à chacune de ses créatures : le cloporte montre que la maison est humide ; la punaise, que les murs sont sales ; les poux signifient qu’on va tomber malade ! Tout cela est naturel. Mais les blattes, nul ne sait pourquoi elles viennent ni ce qui les pousse, ni ce qui les fait vivre.