Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/90

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Les marmites placées sur le feu, Grigory grimpa sur le poêle, à côté de moi, et, tirant de sa poche une pipe de terre, il me la montra :

— Je me suis mis à fumer à cause de mes yeux… La grand’mère me conseille de priser, mais moi, je crois qu’il vaut mieux que je fume.

Il s’assit tout au bord du poêle, les jambes pendantes, et il baissait les yeux pour regarder la faible clarté de la chandelle. Son oreille et sa joue étaient maculées de suie ; sa blouse déchirée sur le côté laissait voir ses côtes larges comme des cercles de tonneau. L’un des verres de ses lunettes s’était brisé et, la moitié du verre étant sortie de la monture, l’œil, rouge et humide, tel une plaie, apparaissait dans l’ouverture. Grigory bourra sa pipe de tabac en feuilles et, tout en prêtant l’oreille aux gémissements de la femme en travail, il marmottait des phrases incohérentes :

— Tout de même, elle s’est brûlée, la grand’mère ! Comment fera-t-elle pour délivrer la tante ! Comme elle geint ! On l’avait oubliée et il paraît qu’elle a ressenti les premières douleurs quand l’incendie commençait… Elle a eu peur… Que c’est pénible de mettre un enfant au monde et, pourtant, on ne respecte pas les femmes ! Rappelle-toi cela : il faut respecter les femmes, c’est-à-dire celles qui sont mères…

Je sommeillais ; un bruit de pas, de portes qui claquaient, les grognements furieux de l’oncle Mikhaïl, me réveillèrent ; des paroles bizarres arrivèrent à mes oreilles :

— Il faut ouvrir la porte sacrée…