Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Bois les baisers de ta douce et tendre fiancée.
Les larmes des femmes sont lourdes et salées
comme la mer qui noie ceux qui y sont allés.


Ne semble-t-il pas que la gaucherie ou le dédaigneux laisser-aller de ce dernier vers ajoute à la pensée sérieuse comme un sourire ? Il y a beaucoup de ces sourires dans la poésie de M. Francis Jammes. Je ne trouve pas qu’il y en ait trop ; j’aime le sourire.

Voilà donc un poète. Il est d’une sincérité presque déconcertante ; mais non par naïveté, plutôt par orgueil. Il sait que vus par lui les paysages où il a vécu tressaillent sous son regard et que les chênes tout secoués parlent et que les rochers resplendissent comme des topazes. Alors il dit toute cette vie surnaturelle et toute l’autre, celle des heures où il ferme les yeux : et la nature et le rêve s’enlacent si discrètement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu’une seule ligne, une seule grâce :


Ils ont une ligne douce comme une ligne.


Il est grand temps, pour notre bon renom, de donner de la gloire à ce poète et, pour notre plaisir, de respirer souvent cette poésie, qu’il a appelée lui-même une poésie de roses blanches.