Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/21

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était sa grande admiration. À partir de ce moment, Huysmans devint plus attentif. On appela d’illustres défunts. Il y eut d’édifiantes réponses sur la position des êtres désincarnés, errant dans les espaces. Tout le monde était sérieux ; je m’amusais ; Huysmans réfléchissait, puis, insatiable, évoquait toujours. À la fin, la table nous échappa et se mit à tourner, quasi toute seule, autour de la pièce, sur un rythme de gigue. Dubus, d’un doigt, la guidait légèrement à travers les chaises. S’il y avait supercherie à ce moment, je n’ai pas vu comment elle s’exerçait. Dubus était capable de tout.

Le lendemain, je trouvai Huysmans encore troublé. Il me démontra avec une gravité inaccoutumée que, la table étant mue par les esprits, l’existence des esprits prouvait à la fois l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. J’étais trop étonné pour essayer d’aucune objection. À n’en pas douter, cette séance de table tournante a joué un rôle dans la conversion de Huysmans. Il m’en parla longtemps. Il avait vu Dieu dans le guéridon dansant, comme Moïse l’avait vu dans le buisson ardent. Quand on demande des preuves du surnaturel, l’on en reçoit toujours.

Peu de temps après cette soirée, Huysmans disparut, et je ne l’ai jamais revu. J’ai su depuis qu’il était allé faire une retraite à la Trappe. Je ne connais