Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/278

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rosaient, elle serrait avec des frissons la main d’Entragues et dans l’audace du plaisir laissait aller vers son épaule sa tête renversée et rayonnante. Il la fît causer, la traita comme une femme, la conduisit au buffet, la grisa d’un doigt de Champagne, de deux doigts de compliments : il fut remercié par un sourire où il y avait le don d’une vie.

En la reconduisant à sa place, il était presque aussi heureux qu’elle et il songeait que le seul bonheur, c’est de donner le bonheur sans exiger aucun retour.

Vers deux heures, il résista à Calixte Héliot qui sagement tentait de l’entraîner. Plus tard, il vit Moscowitch, après avoir consulté sa montre, disparaître dans l’antichambre. Sixtine le frôla au même instant ; elle tournait, en jasant, au bras de Renaudeau qui semblait dire des méchancetés. Pendant une heure, peut-être plus, il demeura seul et immobile, à la même place, la regardant passer de mains en mains, insoucieuse et soudeuse. Il regardait, le cerveau creux, anémié par la veille, grisé par l’incessant tourbillon. Enfin les salons se dépeuplèrent. Pendant qu’il hésitait à s’offrir à Sixtine comme compagnon de retour, elle disparut, fuyante, sans tourner la tête, en femme bien décidée à refuser ou à n’accepter qu’avec ennui et mauvaise grâce, le bras d’un homme.

Il la laissa partir, alla complimenter la comtesse, saluer la fillette, qui lui tendit la main, boire un dernier verre de punch, afin d’être moins saisi par le froid du matin, puis descendit à son tour et rentra chez lui à pied.