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LIVRE SECOND.

LIVRE SECOND.
Te voyans trauerfer vne Mer fi felonne,
Dans vn frefle vaiffeau fans guyde & vagabond,
Qui tronqué d’attirail alloit couler à fond.
Trois iours ce vent terrible efleuant la tourmente,
M’emporte aux vaftes Mers fur la vague efcumante.
Mais comme le quatriefme ouuroit fes rais nouueaux,
l’apperçoit de tout loin efleué fur les eaux
Le riuage promis de la belle Hefperie,
l’approchois peu à peu cette riue cherie :
Lors qu’abordant à nage affranchy des hazarts,
Pefant d’abis trempez, ie vois de toutes parts,
Vn Peuple furieux qui m’affault de l’efpée,
Me croyant quelque proye en fes rets attrapée,
Ainfi queie penfois fermement accrocher,
Auec les doigts courbez, le faifte d’vn rocher :
Dontie refte auiourd’huy fur le bord du riuage,
Agitté, fecoué, des vents & de l’orage.
Iete coniure donc par l’Air & par les Cieux,
Elements de la vie & lumiere des
yeux.
Par le nom de ton Pere, & l’heureufe efperance
Qui croift en ton Iule auec fa noble enfance,
Deliure moy de peine, inuincible Heros,
Fais donner à mon corps la Terre & le repos :
Il git prés de Velie & l’abbord t’eft facile.
Ou bien fi tu conçois vn confeil plus vtile,
Si ta mere Deeffe à quelque aduis plus fain,
(Car fans elleiamais ce merueilleux deffein
De trauerfer le Stix n’euft enflé ton courage,)
Secours à tel befoin la douleur qui m’outrage :
Tends la main au pauuret & l’attire au batteau,
Pour gaigner auec toy l’autre riue de l’eau :
Affin que pour le moins fon Ombre defolée,
Soit d’vne douce paix en la mort confolée.
Comme il ent dit ces mots la Sibylle reprit :
Quel iniufte defir a piqué ton efprit ?.
Oferois-tu pretendre infenfé Palinure,
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