Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/269

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désolées se relèveront, le désert se changera en un sol fertile, et les prières des vivants auront le pouvoir de rappeler les morts à la vie.

Les Esséniens surtout, dont la vie ascétique n’avait d’autre but que de hâter la venue du royaume des cieux (malkhout schamayim) et des temps futurs (ôlam ha-ba), se représentaient l’ère messianique sous les couleurs les plus idéales. Un messie désireux de se concilier leur sympathie devait renoncer au monde et à son néant, montrer qu’il était pénétré de l’esprit saint (rouach ha-kôdesch), avoir pleine autorité sur les démons, établir enfin un régime de communauté où Mammon n’aurait aucune prépondérance et où la pauvreté serait la vertu et la parure de l’homme.

C’est aussi de l’essénisme que partit le premier cri annonçant que le Messie allait venir, que le royaume du ciel était proche. Mais celui d’entre eux qui le premier, de sa faible voix, lança cette parole dans le désert, ne se doutait pas qu’elle franchirait les terres et les mers, et qu’elle réunirait un jour les nations sous la bannière d’un messie. Quand il annonçait la venue du royaume du ciel, c’était pour inviter les pécheurs judéens à la pénitence. L’Essénien qui prononça cet appel, c’était Jean le Baptiste[1] (ce qui signifie sans doute l’Essénien, c’est-à-dire l’homme qui se baigne tous les jours dans l’eau vire). Nous ne savons que fort peu de chose sur le compte de ce Jean. Sa manière de vivre n’était autre, au fond, que celle des Esséniens. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage ; il portait le costume des anciens prophètes, c’est-à-dire un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir. Jean parait avoir eu cette conviction que, si la nation judaïque tout entière se baignait dans le Jourdain et confessait ses fautes, en d’autres termes, si elle adoptait la règle des Esséniens, le Messie ne manquerait pas de paraître. Voilà pourquoi il exhortait le peuple (vers l’an 29 ?) à recevoir le baptême[2] dans le Jourdain, à reconnaître et confesser ses fautes et à attendre alors l’avènement du royaume des cieux.

Jean avait probablement sa résidence fixe dans le désert voisin

  1. Il est reconnu aujourd'hui par les apologistes chrétiens eux-mêmes que Jean-Baptiste était Essénien. Sa vie, telle que la décrivent les Évangiles, est en tout point celle que menaient les Esséniens et ne s'explique bien que par cette dernière. Le nom même de Baptiste rappelle cette secte, qu'on nommait en grec Baptistaï héméras, et en hébreu Toblé schacharit, les baigneurs du matin ou quotidiens. Ce que Josèphe raconte de Jean Baptiste (Antiquités, XVIII, 5, 2) a été fabriqué et interpolé plus tard, de même que la tirade sur Jésus (ibid., 3, 3). Le récit qui attribue sa mort à l'influence d'Hérodiade ne peut être qu'une fable : en effet, elle ne devint la femme d'Hérode Antipas que vers l'an 35-36, c'est-à-dire après la mort de Jésus, qui pourtant, selon l'Évangile, n'est entré en scène qu'après la mort de Jean.
  2. Rappelons une fois pour toutes que le sens primitif et réel de ce mot est celui d’immersion. De fait, dans le premier siècle de l’Église, le baptême ne fut pas autre chose (note du traducteur).