Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/76

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un poème où la langue hébraïque a montré qu’elle est capable aussi d’exprimer les sentiments les plus intimes et les plus tendres, les grâces les plus exquises du dialogue et les pittoresques beautés de la nature. Enfant d’une imagination riante et insoucieuse, le Cantique appartient très probablement à la période de calme dont nous parlons, calme trompeur que devait bientôt suivre la tempête. Le poète avait fait connaissance avec le monde hellénique, en avait savouré la langue enchanteresse et lui avait dérobé maint heureux artifice, notamment celui de mettre en scène un berger et une bergère et de leur faire échanger d’amoureux entretiens. Mais, sous la naïve innocence de cette langue éthérée, le judicieux poète voulut faire ressortir les vices de son temps. En opposition avec les amours lascives et impures du monde grec, il créa un être idéal, une gracieuse bergère, la Sulamite, aimable fille d’Aminadab, qui porte au cœur un amour profond, ardent, inextinguible, pour un berger paissant parmi les lis, mais qui reste chaste et pure malgré son amour ou plutôt par cet amour même. Sa beauté est relevée par les dons les plus précieux : sa voix mélodieuse vous enchante ; sa suave éloquence vous captive, et lorsqu’elle danse, chacun de ses mouvements est une grâce. Elle aime son berger avec tout le feu d’un cœur jeune ; elle se rend bien compte de cet amour, et elle trouve des images saisissantes pour en peindre l’indomptable violence. Et cet amour même la préserve de toute action mauvaise, de toute parole malséante, de toute pensée impure. Si son regard est doux comme celui de la colombe, son cœur aussi en a toute l’innocence. — Sous les riantes fleurs de sa langue poétique, l’auteur du Cantique laisse entrevoir les tristes plaies de son temps : l’amour sensuel et vénal, qui s’achète et se vend, l’impudicité des danseuses et des chanteuses, les courtisanes qui pullulent, les orgies de la table et de la boisson qui énervent et efféminent les hommes. Les peintures idylliques de cette pastorale ne sont au fond que des portraits de fantaisie. La réalité était loin d’y répondre, et ce n’est nullement le calme qui régnait à Jérusalem.

Avec la mort de Joseph (en 208), le désordre intérieur fit de nouveaux progrès, augmentés encore par les événements politiques extérieurs. Sa charge passa vraisemblablement à ses fils avec la