Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/170

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Pas plus que l’Asie et l’Afrique, l’Europe ne possédait une personnalité vraiment remarquable qui pût remplacer Maïmonide. On trouvait bien quelques savants juifs dans la Provence et l’Espagne chrétienne, mais aucun d’eux n’avait assez de mérite pour s’imposer comme chef religieux aux communautés juives. Ainsi, au moment où les temps devinrent sombres pour le judaïsme et où il aurait fallu un homme d’un caractère ferme et généreux et d’un esprit puissant pour relever les courages abattus et indiquer le chemin à suivre, il n’y avait que des savants sans influence ni autorité. Si, à cette époque, un homme s’était rencontré comme 1laïmonide, on n’aurait eu, sans doute, à déplorer ai les dissensions funestes entre les partisans d’une foi éclairée et les obscurantistes, ni l’action délétère du mysticisme.

Et cependant, plus que jamais, les Juifs auraient eu besoin d’un guide ferme et vaillant. Car, au commencement du XIIIe siècle, ils eurent à subir l’hostilité d’un adversaire aussi puissant que malveillant. Le pape Innocent III (1198-1216), qui courba peuples et souverains sous le joug de l’Église, asservit les esprits, persécuta les penseurs indépendants, créa l’Inquisition et fit monter sur des bûchers tous ceux qui lui semblaient hérétiques, ce pape fut aussi un ennemi implacable des Juifs et du judaïsme. Lui, le puissant prince de l’Église, qui pouvait distribuer couronnes et pays et était parvenu, à l’aide de sa légion de légats et de moines dominicains et franciscains, à soumettre à sa domination toute l’Europe, depuis l’océan Atlantique jusqu’à Constantinople et depuis la Méditerranée jusqu’aux régions arctiques, il supportait avec peine l’existence du petit peuple juif. Au début de son règne, cependant, il se montra assez favorable aux Juifs, et quand, à la mort de Saladin, le sultan d’Égypte qui possédait Jérusalem, une nouvelle croisade s’organisa et que, selon leur habitude, les croisés se mirent à piller et à tuer les Juifs, il intervint en leur faveur (sept. 1109). Il interdit également aux chrétiens de les baptiser de force, de leur ravir leurs biens sans une autorisation légale, de les massacrer, de les attaquer à coups de fouet ou de pierres pendant leurs fêtes ou de profaner leurs cimetières. Chose étrange, ce n’est pas un sentiment d’humanité et de justice qui provoquait l’intervention du pape, mais cette pensée singulière