Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/177

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La rouelle, comme on l’appelle, est donc une invention du pape Innocent III et du 4e concile général de la chrétienté.

La rouelle n’était pas, cependant, tout à fait une nouveauté, le pape paraît en avoir emprunté l’idée à la législation des pays musulmans. Ce fut, en effet, le prince almohade Abou Youssouf Yacoub Almansour qui, le premier, obligea les Juifs de son royaume, qui avaient dû adopter l’islamisme par contrainte, de porter des vêtements spéciaux, une robe grossière avec de longues manches, et, au lieu du turban, un voile de forme ridicule. Si j’étais sûr, disait ce prince fanatique, que les Juifs se sont convertis sincèrement, je leur permettrais de contracter des mariages avec les musulmans. Si je savais, au contraire, qu’ils persistent dans leur ancienne foi, je les passerais au fil de l’épée, je réduirais leurs enfants en esclavage et confisquerais leurs biens. Mais je suis dans le doute, je veux donc qu’ils portent des vêtements qui les ridiculisent. C’est cette loi barbare qu’Innocent III introduisit en pays chrétien le 30 novembre 1215. Ce signe infamant attaché à leurs habits exposa les Juifs, en Europe, pendant six siècles, à la raillerie et aux insultes.

À la suite de cette décision du pape, les conciles provinciaux, les États et les princes délibérèrent gravement au sujet de la rouelle, pour en déterminer avec minutie la couleur, la forme, la longueur et la largeur. Mais, qu’elle fût ronde ou carrée, jaune ou rouge, placée sur le chapeau ou sur la poitrine, le résultat en était le même, elle invitait la foule à accabler les Juifs de son mépris et de ses outrages, elle encourageait la populace à les attaquer, les maltraiter et souvent même les tuer, elle servait de prétexte aux classes dirigeantes pour les isoler comme des parias et les expulser du pays. Ce signe infamant eut aussi une action désastreuse sur les Juifs eux-mêmes, sur leur caractère et leurs manières. Ils s’habituèrent peu à peu à leur abjection, perdant tout amour-propre et toute dignité, négligeant de plus en plus leur personne et leur habillement, et s’accoutumant à parler entre eux un jargon incorrect et grossier. Ils n’eurent bientôt plus ni le sens, ai le goût du beau. Leur maintien devint humble, presque lâche.

Les Juifs n’adoptèrent cependant pas la rouelle sans résistance, surtout en Espagne et dans le midi de la France, où jusqu’alors ils