Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/18

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rechercher l’origine du temps et de l’espace, comme il est dit dans le Talmud (Haguiga, 11) : Celui qui se préoccupe de ce qui est en bas et en haut, de ce qui a été avant et sera après, n’est pas digne de vivre. Je répliquerai à ces adversaires de la philosophie qu’il n’est pas possible que le Talmud ait défendu la spéculation sérieuse, puisque notre Créateur nous l’a, au contraire, prescrite… Les Talmudistes nous défendent seulement de dédaigner complètement les livres des prophètes et d’accepter ce que la raison suggère à chacun de nous sur l’espace et le temps, parce que nous pourrions être conduits tantôt à la vérité, tantôt à l’erreur… Même dans les cas où nous atteindrions la vérité, cette vérité ne serait pas établie sur des bases solides, parce qu’elle ne serait pas confirmée par la Révélation. Mais si la philosophie est guidée par la foi, elle ne s’égarera pas, elle confirmera au contraire les vérités de la Révélation et pourra réfuter les objections faites par les incrédules contre la Révélation. On peut considérer comme acquise a priori la vérité du judaïsme révélé, puisqu’elle a été affirmée par des miracles… Mais, pourrait-on objecter, si la spéculation philosophique apporte à l’esprit la même conviction que la Révélation, celle-ci a été inutile puisque la raison humaine est capable de trouver la vérité sans l’intervention divine. À cet argument je réponds que la Révélation a été nécessaire, parce que l’esprit humain livré à ses seules facultés n’aurait découvert la vérité qu’après de longs tâtonnements, il aurait été assailli de mille doutes, et mille accidents l’auraient fait dévier du droit chemin. Dieu nous a épargné toutes ces difficultés et nous a envoyé ses messagers, qui nous ont parlé en son nom et ont confirmé leurs paroles par des miracles. »

Cette argumentation en faveur de la Révélation était devenue nécessaire à l’époque de Saadia. Car, par suite de l’influence de l’école philosophique des mutazilites, l’incrédulité religieuse avait fait dans le khalifat d’Orient de tels progrès qu’un poète arabe, Abou-l-Ala, contemporain de Saadia, pouvait dire : « Musulmans, juifs, chrétiens et mages, tous marchent dans l’erreur et les ténèbres ; il n’y a plus dans le monde que deux espèces d’hommes, les uns sont intelligents mais incrédules, les autres ont la foi mais manquent d’intelligence. » Le judaïsme n’avait point échappé aux