Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/230

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résolution de traverser l’Océan. À leur tête se trouvait le plus illustre rabbin d’Allemagne, Meïr, de Rothenbourg sur la Tauber (né en 1220 et mort en 1293), qui se disposait a se rendre avec sa famille en Palestine (au printemps de l’année 1286). Le bruit s’était, en effet, répandu que le Messie était apparu dans ce pays, pour sauver Israël. Ces malheureux avaient peut-être appris que leurs frères vivaient heureux en Syrie, sous la domination d’un souverain mongol, qui témoignait même plus d’égards aux Juifs qu’aux musulmans et leur confiait des fonctions élevées.

Les Mongols ou Tartares possédaient alors en Perse un royaume puissant, qui s’étendait depuis le bas Euphrate et les frontières de la Syrie jusqu’à la mer Caspienne. Argun (1284-91), troisième roi de la dynastie régnante, manifestait une certaine aversion pour l’islamisme et estimait particulièrement les Juifs et les chrétiens. Il s’était attaché un médecin juif, nommé Saad Addaula, homme d’une grande intelligence, d’un caractère désintéressé et d’un savoir étendu. Il était, en outre, d’une belle stature, avait des manières aimables et possédait l’habileté et la souplesse d’un diplomate. Amateur de poésie et de science, il protégeait savants et poètes. Ayant été assez heureux pour guérir Argua d’une grave maladie, il gagna ses bonnes grâces et put ainsi avoir de fréquents entretiens avec lui. Il causa souvent avec lui des affaires de l’État, lui signala certains abus et lui indiqua quelques réformes à introduire dans l’administration. Enchanté des excellents conseils de Saad Addaula, Argun en fit son favori et l’éleva à la dignité de premier ministre.

Ce fut, sans doute, la nouvelle des hautes fonctions confiées, en Palestine, à un de leurs coreligionnaires, qui engagea les Juifs d’Allemagne à émigrer, sous la conduite de Meïr de Rothenbourg. Mais ce dernier, qui croyait pouvoir partir en secret, fut reconnu par un renégat juif et jeté en prison. Sur l’ordre de Rodolphe, on l’enferma dans la tour d’Ensisheim, en Alsace (4 Tamouz = 19 juin 1286). Dans la pensée de l’empereur, cette détention avait pour but d’effrayer les masses juives et d’arrêter parmi elles le courant d’émigration, qui tendait à devenir de plus en plus fort. Car le départ des Juifs aurait fait subir des pertes considérables au Trésor impérial.