Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/427

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craignaient, en obligeant leurs anciens coreligionnaires, de s’exposer à la colère de l’Inquisition.

Faute d’acheteurs, les biens-fonds des proscrits se vendaient à des prix dérisoires. À en croire le témoignage d’un contemporain, André Bernaldez, curé de Los Palacios, une maison s’échangeait contre un âne, et un vignoble contre une pièce de drap ou de toile. Pour rendre encore plus difficile aux Juifs la vente de leurs immeubles, Torquemada interdit aux chrétiens tout commerce avec eux. De plus, le roi Ferdinand lit mettre sous séquestre, dans ses États, une partie des propriétés des expulsés pour couvrir leurs dettes et aussi pour donner satisfaction, le cas échéant, aux réclamations des couvents qui prétendraient avoir des droits sur ces biens. C’est ainsi que s’évanouirent en quelque sorte en fumée les richesses considérables des Juifs d’Espagne, qui auraient pu leur être si utiles dans leur détresse.

Quand il vit les Juifs réduits au désespoir, Torquemada ordonna aux dominicains de leur prêcher le christianisme en faisant miroiter devant eux la promesse qu’après leur conversion ils pourraient rester en Espagne. Mais, grâce aux exhortations des rabbins et à la fermeté de leurs propres convictions, les Juifs demeurèrent inébranlables dans leur foi, acceptant leurs souffrances comme une épreuve et se confiant tout entiers en ce Dieu qui, si fréquemment, avait secouru leurs ancêtres. En face de nos ennemis et de ceux qui nous outragent, disaient-ils l’un à l’autre, supportons tout avec courage pour notre religion et la doctrine de nos aïeux. Sachons accepter notre sort avec une vaillante résignation, qu’on nous laisse la vie ou qu’on nous l’ôte, et ne profanons pas l’alliance de notre Dieu. Ne nous laissons pas effrayer, mais marchons sans cesse dans la voie tracée par l’Éternel.

D’ailleurs, ils savaient bien que le baptême non plus ne les aurait pas protégés contre la fureur sanguinaire des inquisiteurs. Les plus tièdes d’entre les Juifs ne songeaient plus à embrasser le christianisme depuis qu’ils avaient vu pour quels motifs futiles les convertis étaient condamnés au bûcher. Ainsi, une année avant la promulgation de l’édit d’expulsion, dans la seule ville de Séville, trente-deux nouveaux chrétiens avaient été brûlés vivants et seize en effigie, et six cent vingt-cinq avaient été condamnés à une