Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/428

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humiliante pénitence. Les Juifs avaient aussi remarqué avec quelle habileté Torquemada dressait ses pièges pour capturer ses victimes. De nombreux Marranes de Séville, de Cordoue et de Jaën s’étaient enfuis dans le royaume de Grenade et y étaient retournés au judaïsme. Après la prise de Grenade, Torquemada leur adressa un appel pressant pour les engager à revenir à l’Église, toujours indulgente et toujours prête à recevoir dans son giron ceux qui s’adressaient à elle contrits et repentants, et il leur promit qu’ils seraient traités avec douceur et qu’ils recevraient secrètement l’absolution. Se fiant aux paroles de Torquemada, plusieurs de ces Marranes se rendirent à Tolède, où on leur fit la grâce de les livrer aux flammes.

Aussi, malgré les incitations fallacieuses des dominicains, malgré la grandeur de la calamité qui les atteignait, les Juifs d’Espagne restèrent presque tous fidèles à leur religion. II n’y eut que quelques rares conversions, principalement dans les familles riches et cultivées, entre autres celles du fermier d’impôts et grand rabbin Abraham Senior, de ses fils et de sou gendre. On raconte qu’Abraham Senior ne se décida à accepter le baptisme que le désespoir au cœur et devant la menace faite par la reine, très attachée à son trésorier, qu’elle infligerait encore de plus grands maux aux proscrits s’il ne se faisait pas chrétien. De fait, la joie fut grande à la cour quand on apprit la résolution d’Abraham Senior et de sa famille, et le couple royal lui-même ainsi qu’un cardinal leur servirent de parrains et de marraine. Les convertis prirent le nom de Coronel, et leurs descendants furent élevés plus tard aux plus hautes fonctions de l’État.

Frappés par le même malheur et soumis aux mêmes souffrances, les Juifs d’Espagne manifestèrent les uns pour les autres, au moment de leur expulsion, les plus admirables sentiments de solidarité. Quoique leur fortune fût considérablement diminuée, les plus riches partagèrent fraternellement avec les pauvres, qu’ils empêchèrent ainsi de se laisser séduire par les promesses des convertisseurs, et subvinrent à leurs frais de départ. Accompagné de trente notables, le vieux rabbin Isaac Aboab, ami d’Abrabanel, prit les devants pour aller engager des pourparlers avec João II, roi de Portugal, afin qu’il autorisât l’établissement des exilés espagnols