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LA SOCIÉTÉ MOURANTE

qui ne voient que leur personne dans la vie. S’il y a un bon morceau sur la table, ils se l’adjugeront sans aucun scrupule. Ils vivront largement au dehors, pendant que chez eux on crèvera de faim. Ils accepteront les sacrifices de tous ceux qui les entourent : père, mère, femme, enfants, comme chose due, pendant qu’ils se prélasseront ou se gobergeront sans vergogne. Les souffrances des autres ne comptent pas, pourvu que leur existence à eux ne fasse pas de plis. Bien mieux, ils ne s’aperçoivent même pas que l’on souffre par eux et pour eux. Lorsqu’ils sont repus et bien dispos, l’humanité est satisfaite et délassée. — Voilà bien le type du parfait égoïste, dans le sens absolu du mot ; mais on peut dire aussi que c’est le type d’un triste individu. Le bourgeois le plus répugnant n’approche même pas de ce type ; il a, parfois encore, l’amour des siens, ou, tout au moins, quelque chose d’approchant qui le remplace. Nous ne croyons pas que les partisans sincères de l’individualisme le plus outré aient jamais eu l’intention de nous donner ce type comme idéal de l’Humanité à venir. Pas plus que les communistes-anarchistes n’ont entendu prêcher l’abnégation et le renoncement, aux individus, dans la société qu’ils entrevoient. Repoussant l’entité : société, ils repoussent également l’autre entité : individu, que l’on tendait à créer en poussant la théorie jusqu’à l’absurde.