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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/133

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premier volume 1878-1915

processions aux flambeaux, le soir, à celles du Saint-Sacrement devant les malades alignés. C’est que je cherche un miracle, un seul, un petit, si petit soit-il. Je me baigne aux piscines, dans l’eau glacée venue de dessous terre. Pas de jour que je n’adresse à la Sainte Vierge cette prière qui ressemble assez, hélas, à celle des scribes de l’Évangile, demandant un signe au Christ : « Bonne Mère, je viens de loin, je ne puis venir souvent à Lourdes ; faites-moi voir un miracle, afin que s’augmente ma foi. » Les miracles, il s’en accomplit presque tous les jours en ce lieu. Je le constate par le journal de la Grotte. Mais, à ces miracles, comment assister, s’y trouver présent ? Ils se produisent tantôt à la grotte de l’Apparition, tantôt dans l’une ou l’autre des trois églises superposées, tantôt pendant la bénédiction des malades, tantôt aux hôpitaux, tantôt aux piscines. Comment se trouver là au bon moment ? La veille de mon départ, je désespère tout de bon de voir ma prière exaucée. Je reviens de dire ma messe à la grotte. Près des robinets qui distribuent aux pèlerins l’eau miraculeuse, j’emplis, comme de coutume, la petite gourde empaillée que je me passe en bandoulière sur l’épaule. Et je m’arrête près des piscines : celles des hommes. Pour le pèlerinage de ce jour-là, c’est l’heure du bain des malades. L’opération s’achève. À l’intérieur de l’enclos ceinturé d’une haute clôture de fer, un prêtre de mine campagnarde, face à ses pèlerins hors de la clôture, récite avec eux le chapelet, ponctuant le début des dizaines par les oraisons coutumières : « Jésus, guérissez nos malades ; faites marcher nos infirmes, nos boiteux… » Les malades sortent l’un après l’autre des piscines, les uns pacifiés, quoique non guéris ; les autres avec une infinie lassitude dans le regard. Près de l’endroit où je me trouve, un dernier malade attend son tour. De teint et de chevelure fortement bronzés, l’homme, un homme visiblement du Midi, peut avoir quarante ans. Il a eu, à ce qu’il semble, le pied écrabouillé en quelque accident. Il se tient debout sur ses béquilles, son pied malade enveloppé d’un large paquet de mauvaise étoffe. Homme de foi, le long de sa béquille de droite, j’aperçois qu’il porte, attachée à son poignet, sa chaussure. Près de lui, sa femme et une fillette d’une douzaine d’années, de pauvres gens, pauvrement habillés. Son tour venu, l’homme entre dans la piscine. La femme, la fillette éclatent en sanglots. À l’intérieur de la clôture de fer, la voix du prêtre continue le chapelet et domine tout. Moins