Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
mes mémoires

de cinq minutes s’écoulent. La porte de la piscine s’ouvre. Un homme apparaît, d’une pâleur mortelle, les yeux hagards, éblouis, semble-t-il, par quelque secrète lumière. Mais il est là, sans béquilles, son pied malade chaussé. La stupeur saisit la petite foule. La foudre tombée sur elle ne l’eût pas davantage atterrée. Le curé en a la voix coupée, les pèlerins de même. Secondes d’émotion haletante. Souffle du surnaturel qui passe. Le fantôme blanc de la Vierge de Massabielle flotte dans l’air. Mais enfin l’on se ressaisit. L’homme prend sa course et va se jeter dans les bras du prêtre. Et c’est vers la Grotte que, précédés du miraculé et du curé, les pèlerins se portent d’un mouvement spontané. Tous ont recouvré la voix ; beaucoup s’essuient les yeux ; et l’on interroge le visage du miraculé. On souhaiterait sans doute, deviner ses impressions, apprendre comment la chose s’est passée. Figé sur place, aussi troublé que les pèlerins, je les regarde s’en aller vers la Grotte. Un cantique de gratitude et d’action de grâces monte du fond de mon âme. J’avais mon miracle. La Sainte Vierge avait exaucé le pèlerin qui venait de loin. Et elle ne l’avait pas exaucé à moitié. Du même coup je n’allais pas franchir les Alpes, cette année-là, sans retoucher quelque peu le visage que Paris et le combisme m’avaient laissé de la France.

■ ■ ■

Mes études terminées à Rome, j’avais donc pris au début de 1908 le chemin de Fribourg. J’y laisserais mes malles. Mais de Fribourg, je reprenais, une fois de plus, le chemin de Paris. Comme l’année précédente, je loge à Issy-les-Moulineaux. Ce qui ne m’empêche pas de m’accorder une couple de semaines de nouvelles excursions dans la grande ville. À Château Beau-Site, hôtel de Fribourg où j’ai séjourné quelques jours, j’ai fait la rencontre de la famille Hudon, de la maison de commerce Hudon-Hébert de Montréal. Monsieur Hudon, en secondes noces, avait épousé une dame Ricard. À Paris, les Hudon me retiennent à titre de cicérone, pendant une semaine ou deux. Je note ici cette rencontre. Elle n’est pas négligeable, puisqu’elle me ferait espérer une quatrième année d’études en Europe. M. Hudon m’avait laissé presque la promesse de solder les frais de cette quatrième année. Et la promesse, je l’eusse mise à profit si une malheureuse circonstance n’eût précipité mon retour au pays. Une couple