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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/194

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mes mémoires

Trois-Rivières. On désire que j’en écrive quelque chose. En ces jours-là, j’ai lu un petit livre alors dévoré par les jeunes et par quelques-uns de leurs maîtres, l’ « Enquête d’Agathon » : Les jeunes gens d’aujourd’hui. Enquête sur la jeune élite intellectuelle de France (garçons de 18 à 25 ans) : enquête qui porte sur le goût de l’action de cette jeunesse, sur sa foi patriotique, son réalisme politique, son retour à un catholicisme vivant. Le pseudonyme d’Agathon cache une collaboration jumelle, celle d’Alfred de Tarde et d’Henri Massis. Petit volume de 286 pages, composé pour plus de la moitié de « témoignages » où il y avait de l’élan, des coups d’ailes, de l’aviation spirituelle. Charles Maurras qualifiera même ces jeunes Français de « doctrinaires de l’enthousiasme et de la foi » ; mais l’on y trouvait aussi un mépris si justifié du bavardage des aînés, de leur scepticisme, de leur incohérence doctrinale, et en opposition à tout cela, une si noble soif de vérité, de concret, un esprit critique si aigu, une telle passion de santé intellectuelle, un goût si solide de l’action, et d’une action centrée sur la nation, le pays. Notre nouvelle jeunesse, celle au moins de l’ACJC, pouvait-elle se prévaloir de quelques traits de ressemblance avec l’admirable génération qui, en France, montait à la vie : génération de Maritain, de Péguy, de Psichari, de Claudel, de Ghéon, de Jacques Copeau, de tant d’autres, et de l’un des auteurs de l’enquête : Henri Massis ? Je fis rapidement ma propre enquête, et j’écrivis mon article. La revue alors la plus haute cotée, La Nouvelle-France, de Québec, l’accueillit dans sa livraison de septembre 1913. Il portait pour titre ces trois mots : « Ceux qui viennent ». La jeunesse en fit un tract qu’elle répandit à quelques milliers d’exemplaires. « Ceux qui viennent », annonce d’une génération nouvelle dont j’essayais de fixer les traits principaux. Je commençais par une revue des adversaires rencontrés par l’Association dès sa naissance : les sceptiques, les méfiants à l’égard de tout ce qui est jeune et qui jugeaient de haut « ces petits bonshommes qu’on disait n’avoir achevé ni leurs dents de lait ni leur mue intellectuelle » ; puis, après ceux-là, les amis de la petite paix, ceux « qui ont trouvé le secret de sauver les causes sans les défendre » ; et en dernier lieu, les politiciens qui, « avec l’admirable flair qui les caractérise », deviennent quelque chose « comme une machine infernale dans l’œuvre nouvelle ». Mais comment, me demandais-je ensuite, une génération de si