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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/400

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mes mémoires

réservée uniquement aux hommes. Une mer de têtes. Et des auditeurs d’une tenue irréprochable. C’est dans l’après-midi, après le salut du Saint-Sacrement. Le Cardinal-archevêque de Paris, accompagné de chanoines, parfois d’évêques, gravit son trône au centre du vaste banc d’œuvre dressé en face de la chaire. Avec un minimum de bruit, chacun des assistants de la grande nef tourne sa chaise vers le prédicateur qui va paraître. Le voici dans sa robe blanche. Grand, de taille robuste, très simple de maintien, il donne surtout une impression de force et aussi ce sentiment de sécurité que dégage l’orateur qu’on sent maître de soi, rompu à ces suprêmes batailles que sont tous les discours de la chaire ou de la tribune. Le plus difficile à vaincre, à emporter dans l’homme, n’est-ce pas, ne sera-ce pas toujours son esprit ? Le Père Janvier n’est pas beau. La figure paraît rude, fruste, et, chez le moine vieilli, laisse percer quelque impression de lassitude. Impression qu’on a tôt fait d’oublier lorsqu’après le regard circulaire sur les milliers de visages tendus vers lui, l’orateur articule ses premiers mots. Voix magnifique, de sonorité riche, voix mâle, voix d’or, capable tout ensemble de charmer et de conquérir. Je suis à quelques pas de la chaire, bien placé pour suivre le prédicateur, en même temps que les réactions de l’auditoire. Le Père Janvier excelle dans la véhémence. Nulle rhétorique toutefois en cette véhémence ; rien pour l’effet. Discours d’un homme qui s’efface devant une Parole plus haute que lui, qui expose, qui argumente, qui discute, dans un style presque sévère. Les mouvements oratoires viennent d’eux-mêmes, de la force de conviction du dialecticien, de la passion de l’apôtre qui voudrait tant convaincre et convertir. Mais, à certains moments, le geste généralement sobre, devient plus nerveux ; la voix éclate orageuse ; la figure de l’orateur s’illumine, paraît singulièrement belle. L’auditoire, lui, écoute sans bouger, tous les visages tournés vers la chaire, rivés sur l’homme qui parle. Comme on écoute bien en France, quand celui qui tient la parole mérite d’être écouté ! Un de ces dimanches le Père expose la responsabilité de l’écrivain. Il ne cherche pas à la voiler ; il n’évoque, il n’admet ni excuses ni atténuations. Il parle franc, fort. Un moment, comme en presque chacune de ses conférences, un frisson court d’un bout à l’autre de la nef. Ému, le Père s’arrête pour reprendre son souffle. Émus eux-mêmes, secoués, les quatre mille auditeurs n’ont qu’un geste : un léger