Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/289

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l’animation de sa jeunesse mettait un rayon de joie dans notre triste intérieur de vieux ; grâce à lui, un peu du bruit et du mouvement des maisonnées nombreuses subsistait encore ; la transition nous en fut moins pénible.

C’était d’ailleurs une bonne nature : bien que vif et très éveillé, il était obéissant, point désagréable. On le gâtait : Victoire faisait à Monsieur de la soupe au lait parce qu’il n’aimait pas la soupe au lard ; elle lui donnait de grandes tartines de beurre ; et les rares fruits du jardin lui étaient réservés.

Bien souvent, Francis me talonnait pour me faire dire des histoires ; il se rappelait m’en avoir entendu raconter à sa sœur et à son cousin, et il voulait les apprendre.

Je savais quelques-uns de ces vieux contes qu’on se transmet dans les fermes de génération en génération. Je connaissais la Montagne verte, le Chien blanc, le Petit Poucet, le Sac d’or du Diable, et aussi la Bête à sept têtes. Après m’être un peu fait prier, je commençais :

« — Il était une fois une grosse Bête à sept têtes qui voulait manger la fille du Roi. Le Roi fit dire par tout son royaume qu’il donnerait sa fille à qui tuerait la bête : mais personne n’osait tenter l’aventure. Or, vint de loin un jeune campagnard téméraire et courageux qui se porta résolument dans la forêt, au devant de la Bête à sept têtes, et eut la chance de la tuer. Il mit dans sa poche les sept langues de sa victime et retourna à son village où il avait laissé sa mère malade : il ne voulait pas se présenter au palais pour épouser la fille du roi sans être rassuré quant à la santé de sa mère. Cependant, un méchant bûcheron avait assisté de loin au meurtre de la Bête : voyant que le bon jeune homme ne se rendait pas de suite au palais, il