Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/295

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c’était la même chose. Il me parlait des montagnes, des fleuves, des mers, des départements et des villes ; et ensuite, quand des noms me revenaient en tête, je les attribuais au hasard, toujours de travers, faisant d’une montagne un fleuve et d’une mer un pays. Ce n’est pas à soixante-cinq ans que l’on peut se mettre en tête des choses nouvelles.

Il y avait des instants où j’étais un peu dépité de me voir faire la leçon par ce mioche ; et pourtant j’étais fier de lui et bien heureux qu’il eût du goût pour son travail de classe. Quand j’allais aux foires de Bourbon, je lui apportais toujours un journal ; il le lisait tout haut le soir et je prenais plaisir à l’entendre, malgré qu’il y eût bien des choses que nous ne comprenions ni l’un ni l’autre. Malheureusement, la Marinette interrompait souvent la lecture par une scène de rire ou de lamentation, et cela ennuyait beaucoup le petit.

Quand il fut plus grand, il se mit à acheter chaque semaine chez le père Armand, le tailleur buraliste de Saint-Aubin, un journal qui racontait des histoires et qui contenait des gravures coloriées ; on y voyait des têtes d’hommes célèbres, des généraux empanachés, des soldats avec le sac et le fusil, des accidents et des crimes. Francis colla au-dessus de la cheminée toute une série de ces illustrations.

C’était l’époque où il s’essayait au travail manuel. Là, je retrouvais ma supériorité ; j’étais à même de le remontrer et cela me faisait plaisir…


LII


Un dimanche, j’eus l’idée de me rendre à Meillers, de revoir cette ferme du Garibier où je m’étais élevé,