Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/296

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et que j’avais quittée depuis près de cinquante ans.

Le chemin d’arrivée longeant le coin de bois où croissaient les sapins à senteur résineuse n’avait pas changé d’aspect. Quand je débouchai dans la cour, deux chiens se précipitèrent au devant de moi en aboyant, tout comme Castor autrefois quand venaient des étrangers. J’étais bien l’étranger en effet et pourtant, le lieu m’avait été si familier jadis !… L’ancienne grange basse et écrasée n’existait plus ; il y avait à présent une belle grange avec de hauts murs bien crépis, et les tuiles de la couverture conservaient encore un peu de leur teinte neuve. La maison, par contre, quoique très vieille déjà de mon temps, était encore debout, telle quelle, non restaurée. Les fermiers généraux tâchent naturellement d’obtenir des propriétaires un beau logement pour les bêtes dont ils ont la moitié, alors que le logement des métayers leur importe peu. À l’usage des gens, on avait fait pourtant quelque chose de très utile : un puits tout près de la porte d’entrée. Il y avait toujours les mêmes plantes de jonc dans la cour et la mare entourée de saules était restée pareille, sauf qu’on avait fait un glacis de pierres d’un côté pour que les bêtes puissent aller boire plus aisément. Les saules avaient vieilli beaucoup : l’un manquait ; les autres laissaient échapper de leurs troncs branlants des débris pourris.

Je ne connaissais pas les habitants actuels de la ferme et n’avais nul motif d’aller jusqu’à la maison. Je traversai donc la cour lentement, en jetant de longs regards sur tout, puis je m’éloignai par le chemin de la Breure. Bien le même aussi, ce chemin ; toujours resserré par endroits, toujours encaissé entre ses hautes bouchures dont septembre jaunissait les feuilles ; les mêmes chênes régnaient sur les levées avec leurs racines débordantes et leurs ramures touffues, moins quelques-