Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/305

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nace et j’arrivai, en la terrorisant de cette façon, à obtenir qu’elle se tînt tranquille. D’autre part, sachant qu’elle aimait beaucoup la salade de haricots et les beignets, je dis à la servante de préparer souvent l’un ou l’autre de ces mets : vaincue et satisfaite, la Marinette cessa de la poursuivre de sa haine.

Je ne tardai pas d’avoir par ailleurs de nouvelles inquiétudes. Il me fallut donner à mes enfants les droits de leur mère, et, pour cela, je fus obligé de faire rentrer mon hypothèque. Je dus aller plusieurs fois à Bourbon ; je me revis gauche et gêné dans le bureau du notaire ; j’affrontai les haussements d’épaules dédaigneux du premier clerc, un grand bellâtre toujours pommadé, qui, lorsque je ne saisissais pas du premier coup ses explications, avait toujours l’air de vouloir lâcher ce qu’il pensait si fort :

― Quel imbécile tout de même !

Je gardai longtemps à la maison les deux mille francs qui me restèrent, après que tout fut réglé. Ils étaient dans le tiroir de l’armoire, et je cachais la clef du meuble dans un trou du mur de l’étable. Quand la servante voulait ranger du linge, elle me la demandait d’un air maussade, en m’accusant d’être méfiant. De guerre lasse, je portai mes deux mille francs chez le banquier de Bourbon.

Et ma vie se poursuivit, monotone, entre ces deux vieilles femmes dont l’une était sourde et l’autre idiote. Francis venait quelquefois le dimanche et ses visites me donnaient toujours un peu de contentement. Mais elles devinrent de moins en moins fréquentes à mesure qu’il grandit, car il se mit à sortir davantage : la compagnie des jeunes garçons de son âge lui semblait plus attrayante que celle de son vieux grand-père et de son triste entourage.

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