Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/304

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qu’ils étaient déshabitués de sa présence et qu’elle devenait de moins en moins supportable ? Sa mort était à souhaiter, mais on ne pouvait cependant pas la tuer, la malheureuse ! Je formais des vœux pour que nous lui survivions, Victoire et moi ; car j’avais la volonté bien arrêtée de lui assurer toujours le nécessaire, et Victoire lui était bonne, bien que se plaignant constamment d’avoir à la subir.

Mais cela ne devait pas se réaliser, hélas ! Ma pauvre femme fut emportée brusquement l’été d’après, et j’eus le grand chagrin de me dire que j’étais un peu cause de sa mort.

Quand je n’avais pas d’ouvrier, un voisin m’aidait d’habitude à rentrer mes gerbes de blé. Un jour que la pluie menaçait il se trouva être absent ; je fus obligé de faire venir Victoire, qui ne s’en souciait guère, pour entasser sur la voiture quelques gerbes que nous avions liées la veille ; elle eut très chaud, puis fut trempée d’eau, la pluie étant survenue avant que nous n’ayons pu rentrer. La nuit, elle se mit à vomir du sang ; deux jours après, elle était morte.

Je louai une femme veuve, déjà vieille et fort sourde, qui prit la direction de mon intérieur. Elle n’était guère entendue à la laiterie et il me fallut, les premiers temps, m’occuper presque autant qu’elle de la fabrication du beurre et du fromage. Mais le pis fut que la Marinette prit plaisir à lui être désagréable ; elle retirait du feu la marmite et la renversait, ou bien cachait en son absence les objets usuels du ménage, puis riait ensuite beaucoup de la voir embarrassée. La bonne femme me prévint qu’elle allait s’en retourner si ça continuait. Je fus obligé de ne plus quitter la maison de plusieurs jours pour surveiller la pauvre idiote. Quand elle se disposait à faire quelque sottise je lui serrais les poignets, je la fixais avec des yeux de me-