Aller au contenu

Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

printanier brillait, tempéré par une brise fraîche. Des merles sifflaient gaiment tout près, dans une grande prairie d’un vert tendre que les primevères nuançaient de jaune par endroits. Devant nous, les vieux ormeaux de la place laissaient éclater leurs bourgeons grossis. Les lointains carillons des cloches de Bourbon et des cloches d’Ygrande se mêlaient aux vibrations grêles des nôtres.

Aux murs de l’église, aux troncs des ormeaux s’étalaient de grandes affiches vertes, jaunes et rouges, que séparaient des banderoles longues, collées de biais :

— Voyez, fit Daumier, voyez s’il y en a ! Ceux qui savent lire ont de quoi se distraire. C’est qu’on va voter pour les députés bientôt : il paraît même qu’un des candidats va parler ici après la messe.

— Ah ! et lequel donc ?

— C’est Renaud, le socialiste.

Un de mes voisins vint nous rejoindre qui nous dit que ce n’était pas Renaud, mais un de ses amis qui faisait en son nom les petites communes.

— N’importe ; irons-nous l’entendre, Bertin ? fit Daumier.

— Ma foi, si vous voulez, répondis-je.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

À la sortie de la messe, nous allâmes nous attabler à l’auberge où l’orateur devait faire sa réunion. La salle s’emplit en dix minutes et le bistro fut obligé d’installer dehors des tables improvisées. Mais celui qu’on attendait n’était pas là. Il arriva seulement vers deux heures, à bicyclette. Lorsqu’il entra, tous les regards se portèrent sur lui comme sur une bête curieuse. C’était un petit brun au teint maladif qui marchait les yeux baissés, l’air timide. Au fond de la salle, on lui réserva une petite table étroite derrière laquelle il se mit à parler dans le brouhaha des conversations persistantes.