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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/311

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Il parla d’abord lentement, comme avec peine, cherchant ses mots ; puis, ayant conquis l’attention, il prit de l’assurance, se redressa ; ses yeux brillèrent et sa voix s’affermit. Il peignit la misère des travailleurs à qui on promet toujours et pour lesquels on ne fait jamais rien ; il attaqua les bourgeois, les curés, qu’il accusait d’être complices pour berner le peuple.

À sa gauche un bonhomme soûl se levait fréquemment et criait, la face congestionnée :

― C’est pas vrai ; t’es un franc-maçon : à bas les francs-maçons.

À chaque interruption de l’ivrogne, des rires éclataient au long des tablées : des clameurs se croisaient, auxquelles succédait un bourdonnement long à s’éteindre. L’orateur s’arrêtait un peu, puis s’efforçait de reconquérir l’attention quand le tumulte était en décroissance. Sa conclusion, débitée d’une voix forte, mais émue, ramena le silence complet. Il dit :

— Malheureux ouvriers que le labeur étreint, que la misère guette, travailleurs de la campagne que tout le monde gruge, pouvez-vous dire que vous êtes des hommes ? Non, vous n’en avez pas le droit : vous êtes des esclaves. Nous avons eu quatre révolutions en moins d’un siècle : aucune n’a vraiment affranchi le peuple ; il reste malheureux, il reste ignorant ; on le raille en vivant de lui. La vraie révolution sera celle qui fera le peuple souverain. Travaillez sans relâche à la mériter, mes amis. Votre bulletin de vote dira que vous voulez l’obtenir. Cessez de vous faire représenter par des bourgeois qui font leurs affaires, non les vôtres. Ils font semblant de s’entre-déchirer, mais ce n’est pas sérieux : monarchistes, bonapartistes, républicains, s’entendent tous pour vous mieux duper. Prolétaires, montrez que vous avez assez d’eux ; faites voir que c’est à vous d’imposer vos volontés ;