Page:Gunnell - Stendhal et l’Angleterre, 1909.djvu/225

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INFLUENCE DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE 207 et de froid, ou, s’ils ne succoinbent pas, souiïrent des douleurs plus cruelles que la mort, des soldats réduits par la faim et la soif à manger les corps de ceux de leurs camarades qui ont péri et à boire de l’eau toute rouge de leur sang. Le tableau est d’un réalisme d’autant plus saisissant que l’autour manque entièrement d’art. Il dit ce qu’il a vu, sans rhétorique, sans faire de phrases, sans avoir l’air de penser un instant à l’effet qu’il pro- duira. C’est en cela que Stendhal lui ressemblera. La différence entre la description de Waterloo dans la Chartreuse de Parme et une bataille à laquelle assiste le soldat écossais, c’est la différence entre Fabrice et Tom, l’un, jeune homme naïf de cœur et d’esprit, l’autre, garçon très honnête, très loyal, très courageux, mais banal, peu accessible à l’enthousiasme et avec la dose ordinaire de sens commun. Ce n’est pas lui qui, au milieu d’une bataille, se serait couché dans un fossé, pour verser des larmes amères de déception et de colère, en s’apercevant que, somme toute, ses camarades ne sont que des fourbes égoïstes et vulgaires, au lieu des êtres tendres, héroïques et généreux qu’il s’était ima- ginés. Il ne poursuivrait pas non plus, en criant avec indignation : « Au voleur ! au voleur ! » un camarade qui lui aurait pris son cheval. C’est assez dire qu’une bataille n’est pas pour Tom tout à fait la même chose que pour Fabrice. Mais si c’est Fabrice qui se bat à Wa- terloo, c’est Stendhal qui est auprès de lui, son compa- gnon invisible, et, comme le soldat écossais, avec la même simplicité et la même vérité, il dépeint ce qu’il y voit, ne décrivant que ce qui se passe sous les yeux