Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/138

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boutique, en pleurant de rage et regardant avec peine et douleur son manuscrit, objet de ses soins et de ses affections, que portaient les grossiers valets du gentilhomme.

— Oh ! sois maudit ! homme de l’enfer ! sois maudit, maudit cent fois, toi qui m’as volé tout ce que j’aimais sur la terre. Oh ! je ne pourrai vivre maintenant ! je sais qu’il m’a trompé, l’infâme, il m’a trompé. S’il en était ainsi, oh ! je me vengerai ! Courons vite à la barrière des Arabes. Si cet homme allait me demander une somme que je n’ai pas ? que faire alors ? Oh ! c’est à en mourir !

Il prend l’argent que l’étudiant avait laissé sur son bureau et sortit en courant.

Pendant qu’il allait par les rues, il ne voyait rien de tout ce qui l’entourait, tout passait devant lui comme une fantasmagorie dont il ne comprenait pas l’énigme, il n’entendait ni la marche des passants ni le bruit des roues sur le pavé ; il ne pensait, il ne rêvait, il ne voyait qu’une chose : les livres. Il pensait au Mystère de saint Michel, il se le créait, dans son imagination, large et mince avec un parchemin, orné de lettres d’or, il tâchait de deviner le nombre des pages qu’il devait contenir ; son cœur battait avec violence comme celui d’un homme qui attend son arrêt de mort.

Enfin il arriva.

L’étudiant ne l’avait pas trompé !!

Sur un vieux tapis de Perse tout troué étaient étendus par terre une dizaine de livres. Giacomo, sans parler à l’homme qui dormait à côté, couché comme ses livres, et ronflait au soleil, tomba à genoux, se mit à parcourir d’un œil inquiet et soucieux dans les dos de livres, puis il se leva, pâle et abattu, et éveilla le bouquiniste en criant, et lui demanda :

— Eh l’ami, n’avez-vous pas ici le Mystère de saint Michel ?