Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/407

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coin de la terre ; c’était une cérémonie comme une autre, aussi belle, aussi pompeuse, aussi fardée qu’un enterrement à l’exception près que dans un enterrement la viande est fraîche, dans la seconde elle est pourrie. Tout le monde attendait le fossoyeur, lorsque, enfin, au bout de dix minutes, il arriva en chantant. C’était un bien brave homme que cet homme, indifférent pour le présent, insoucieux pour l’avenir ; il avait un chapeau de cuir ciré, et une pipe à la bouche.

L’opération commença. Après quelques pelletées de terre, nous vîmes le cercueil ; Le bois en était de chêne et à demi consumé, car un seul coup le rompit maladroitement. Alors nous vîmes l’homme, l’homme dans toute son affreuse horreur. Pourtant une vapeur épaisse qui s’éleva aussitôt nous empêcha pendant quelque temps de bien le distinguer : son ventre était rongé, sa poitrine et ses cuisses étaient d’une blancheur mate ; en s’approchant de plus près, il était facile de reconnaître que cette blancheur était une infinité de vers qui rongeaient avec avidité.

Ce spectacle nous fit mal, un jeune homme s’évanouit.

Le fossoyeur n’hésita pas ; il prit cette chair infecte entre ses bras et l’alla porter dans le char qui était à quelques pas plus loin. Comme il allait vite, la cuisse gauche tomba par terre ; il la releva avec force et la mit sur son dos, puis il vint recouvrir le trou. Alors il s’aperçut qu’il avait oublié quelque chose, c’était la tête. Il la tira par les cheveux. C’était quelque chose de hideux à voir que ces yeux ternes et à moitié fermés, ce visage gluant, froid, dont on voyait les pommettes et dont les mouches lui dévoraient les yeux.

Où était donc alors cet homme illustre ? où était sa gloire, ses vertus, son nom ?

L’homme illustre, c’était quelque chose d’infect, d’indécis, de hideux, quelque chose qui répandait une odeur fétide, quelque chose dont la vue faisait mal.