Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/104

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C’était d’ailleurs, à cette époque, un enfant crédule et sans défiance. Aimant à aimer, voulant rêver de beaux rêves, facile à l’enthousiasme, admirant ce qu’on admire et plus encore, il était de ces gens candides et tendres, qui n’oseraient réveiller un enfant endormi ni écraser des fleurs sous leurs pieds, qui caressent les animaux, qui se plaisent à voir voler les hirondelles, qui passent des nuits à regarder la lune. Nature nerveuse et féminine, son cœur se déchirait à tout, s’accrochait à tout, il était joyeux sans cause, triste sans raison, rêveur à propos de n’importe quoi ; il avait de grandes haines pour des misères, et du fanatisme pour certains mots ; il désirait ardemment des choses médiocres, regrettait des futilités et se mettait de nouveau à adorer des niaiseries. La force d’expansion que le ciel lui avait donnée augmentait l’intensité de ses joies ou de ses douleurs ; il s’exaltait en écrivant, devenait éloquent à force de parler, s’attendrissait lui-même, et s’aimait parce qu’il se sentait bon. Il considérait la rhétorique comme une chose grave ; quand il faisait du style, l’hyperbole l’emportait au delà de sa pensée, et il employait des expressions magnifiques pour des sujets assez pauvres.

Sa vie, jusqu’à présent, avait été une vie plate et uniforme, resserrée dans des limites précises, et il se croyait né pour quelque large existence, toute remplie d’aventures et de hasards imprévus, pour les combats, pour la mer, pour des voyages perdus, pour des courses énormes à travers le monde.

Ce qui le rendait à plaindre, c’est qu’il ne savait pas bien distinguer ce qui est de ce qui devrait être ; il souffrait toujours de quelque chose qui lui manquait, il attendait sans cesse je ne sais quoi qui n’arrivait Jamais.

Quelque ressemblance qu’il y eût entre Henry et lui, c’étaient deux hommes fort distincts : Henry était plus libre, plus léger, plus net dans ses allures ; Jules