Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/49

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— Bah ! ne faites donc pas le modeste. Voyons, en seriez-vous désolé ?

— Quelle demande !

— Eh bien, alors, courage ! volez à Cythère, bel amour, et décochez… décochez !

Morel prit son chapeau et reconduisit Henry jusqu’à l’entrée de la rue Mazarine, en continuant de lui parler de Mme Renaud et de son époux, qui aussi, jadis, avait été son maître ; il lui donna des détails, il lui conta des histoires, il l’exhorta à être ferme et hardi.

Henry, en se séparant de lui, lui serra la main avec effusion. Je ne peux pas dire ce qu’il éprouvait pour lui, mais il l’adorait, il le vénérait, et pourtant son esprit ne se plaisait pas avec le sien, ni son cœur avec son cœur. Chemin faisant, il pensa à Mme Renaud, il la vit devant lui, marchant, détournant la tête, lui souriant ; il rumina longuement les derniers mots qu’il avait dits sur elle, et se demanda dans la conscience s’il l’aimait réellement.

L’aimait-il en effet ? je n’en sais rien.

X

Depuis quelque temps son cœur n’était pas calme, état maladif et voluptueux où la poitrine se gonfle et où l’appétit diminue.

Une force toute nouvelle lui coulait dans les membres avec le sang ; jamais, en marchant, il n’avait si haut levé la tête ni tendu le jarret d’une façon plus souple et plus vigoureuse. Autrefois, la nuit, il dormait mieux, et le matin, jusque bien avant dans la journée, il n’avait pas, comme maintenant, cette lassitude mêlée d’un doux vertige que l’on éprouve pour avoir trop longtemps respiré des fleurs. Il ne se rappe-