Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/48

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lui faisait bondir le cœur, que le bruit de leurs pieds sur les planches de la scène retentissait en lui et irritait toute sa sensibilité, mais il ne parla plus de la Rosalinde.

— Sait-on jamais le vrai avec ces créatures-là, reprit Morel ; quand elles se sont ôté tout leur plâtre et tout leur coton, elles restent souvent plus délabrées qu’un vieil hôtel garni dont on a enlevé tous les meubles… Tenez, il y a une femme que vous connaissez, qui n’est plus jeune, je l’avoue, mais que j’aimerais encore mieux que tout cela.

— Qui ? demanda Henry.

— Vous logez chez elle, répondit Morel.

Mme Renaud ? fit Henry étonné.

— Oui. Qu’est-ce que vous en trouvez ? N’est-ce pas qu’elle a d’admirables yeux ? Avez-vous remarqué ses mains ? pour vous, qui avez des goûts aristocratiques, elles doivent vous convenir… Je crois, vive Dieu ! ajouta-t-il, à voir votre figure, qu’elle vous plaît assez.

Et tout en se regardant dans un miroir, devant lequel il ajustait sa cravate, il lui lança de côté un regard questionneur, railleur, encourageant.

— Oui, elle est bien, répondit Henry le plus froidement qu’il put.

Il y eut une pause.

— Il ne faudrait pas vous en cacher, reprit Morel. En quels termes êtes-vous avec elle ?

Henry fut désarmé, la vanité bouillonnait, il sourit comme un fat, d’un sourire factice et exagéré.

— En d’assez bons… en d’assez bons…

— Le père Renaud est un bon homme, un bon jobard, un vrai mari. Vous n’avez rien à craindre de ce côté-là… Ah ! ah ! jeune homme, ajouta-t-il en riant, vous plaisez déjà aux jolies femmes ?

Henry sourit, et cette fois de bon cœur.

— Mais je n’en sais rien.