Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/79

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recevras de moi une nouvelle épître. Réponds-moi, tu sais si je t’aime !

« Jules.

« P.-S. — Tu seras ici, n’est-ce pas, quand on me jouera ; je compte sur toi ; d’ailleurs, tu viendrais bien exprès. Adieu. »

Le jour qu’Henry lut ces lignes, Ternande avait apporté, le matin, un bouquet de fleurs à Mme Renaud ; elle l’avait trouvé charmant, délicieux, et l’avait mis elle-même dans un des vases de porcelaine qui ornaient sa cheminée. Depuis quelques jours aussi, elle évitait Henry et baissait les yeux quand il la regardait ; quelquefois même elle embrassait son mari, qui était bien en effet le meilleur homme du monde, et qui lui rendait de suite deux gros baisers à lui enlever les joues, de ces baisers insolents d’époux légitime, que ceux-ci donnent en public à leurs moitiés, avec un cynisme si naïf qu’il faut en rire et non en vomir.

La veille au soir, en montant l’escalier, comme Henry, qui marchait le dernier, avait voulu lui prendre la main par derrière pour la baiser, ne l’avait-elle pas brutalement repoussé, repoussé tout à fait ? Déjà, quelque temps auparavant, dans une longue conférence qu’ils avaient eue ensemble, elle lui avait dit que tout était fini entre eux, qu’il n’y fallait plus songer, qu’il le devait comprendre, qu’en tout cas ce qui s’était passé n’avait jamais été qu’un jeu, qu’un enfantillage auquel il ne fallait pas se laisser prendre, elle connaissait ses devoirs, elle y voulait tenir — elle le disait du moins. Une intrigue d’amour est comme une navigation fluviale, on s’embarque par un beau temps, la voile déployée, le courant vous pousse rapidement, vous ramez ferme, suant sur l’aviron et dépassant vite vos rivaux ; puis tout à coup le calme arrive, la voile