Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
qu’ils retiennent soulèvent leur poitrine à la briser. Ils regardent le ciel en disant :

Aie pitié de son âme, ô mon Dieu ! Elle languit au séjour des ombres ; daigne l’admettre dans la Résurrection, pour qu’elle jouisse de ta lumière !

Ou, l’œil fixé sur les dalles, ils murmurent :

Apaise-toi, ne souffre plus ! Je t’ai apporté du vin, des viandes !

une veuve.

Voici du pultis, fait par moi, selon son goût, avec beaucoup d’œufs et double mesure de farine ! Nous allons le manger ensemble, comme autrefois, n’est-ce pas ?

Elle en porte un peu à ses lèvres ; et, tout à coup, se met à rire d’une façon extravagante, frénétique.
Les autres, comme elle, grignotent quelque morceau, boivent une gorgée.
Ils se racontent les histoires de leurs martyres ; la douleur s’exalte, les libations redoublent. Leurs yeux noyés de larmes se fixent les uns sur les autres. Ils balbutient d’ivresse et de désolation ; peu à peu, leurs mains se touchent, leurs lèvres s’unissent, les voiles s’entr’ouvrent, et ils se mêlent sur les tombes entre les coupes et les flambeaux.
Le ciel commence à blanchir. Le brouillard mouille leurs vêtements ; — et, sans avoir l’air de se connaître, ils s’éloignent les uns des autres par des chemins différents, dans la campagne.
Le soleil brille, les herbes ont grandi, la plaine s’est transformée.
Et Antoine voit nettement à travers des bambous une forêt de colonnes, d’un gris bleuâtre. Ce sont des troncs d’arbres provenant d’un seul tronc. De chacune de ses branches descendent d’autres branches qui s’en-