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PLAISIR DU RISQUE ET DE LA LUTTE.

dans la lutte. Quel que soit l’adversaire, tout combat dégénère en duel acharné. Bombonnel, ayant roulé avec une panthère jusqu’au bord d’un ravin, retire sa tête de la gueule ouverte de l’animal et, par un prodigieux effort, le lance dans le ravin. Il se relève, aveuglé, crachant une masse de sang, ne se rendant pas bien compte de sa situation ; il ne pense qu’une chose, c’est qu’il doit probablement mourir de ses blessures et qu’avant de mourir il veut se venger de la panthère. « Je ne songe pas à mon mal. Tout entier à la fureur qui me transporte, je tire mon couteau de chasse, et ne sachant pas ce que la bête est devenue, je la cherche de tous côtés pour recommencer la lutte. C’est dans cette position que les Arabes me trouvèrent en arrivant. »

Ce besoin du danger et de la victoire qui entraîne le guerrier et le chasseur, on le retrouve chez le voyageur, chez le colon, chez l’ingénieur. Une fabrique française de dynamite envoya récemment un ingénieur à Panama, il mourut en arrivant. Un autre ingénieur partit, arriva à bon port, puis mourut huit jours après. Un troisième s’est embarqué aussitôt. La plupart des professions, comme celle des médecins, fourniraient une foule d’exemples du même genre. L’attrait invincible de la mer est fait en grande partie du danger constant qu’elle présente. Elle tente successivement toutes les générations qui naissent sur ses bords, et si le peuple anglais a acquis une intensité de vie et une force d’expansion telle qu’il s’est répandu sur le monde entier, on peut dire qu’il le doit à son éducation par la mer, c’est-à-dire à son éducation par le danger.

Remarquons-le, le plaisir de la lutte se transforme sans disparaître, qu’il s’agisse de la lutte contre un être animé (guerre et chasse), ou de la lutte contre des obstacles visi-